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Les faits :

Distance : 50 km et des poussières (et de la poussière aussi, c’est sec, l’Utah)

Élévation : selon le site Web, 11 420 pieds. Selon Strava (la Vérité absolue), 11 517 pieds

Altitude : de 7 600 à 11 000 pieds

Participants : 448 au départ, 293 à l’arrivée

La légende : Karl Meltzer, directeur de la course, et vainqueur de 35 « hundred milers » en carrière

Les futures légendes : Ellie Greenwood, Anna Frost, Sage Canaday, Ricky Gates, Mike Wolfe, Hal Koerner…

Vendredi :

Le Snowbird Resort, surplombé par les Wasatch Mountains, fourmille en ce 18 juillet. Pendant que Karl Meltzer, armé d’un sac à dos et d’une radio, donne des instructions, Anna Frost, elle, déambule tranquillement les allées qui bordent l’hôtel. Ellie Greenwood, l’air sérieux, fait des « strides ». La chaleur est écrasante en ce milieu d’après-midi, par contre les prévisions sont plus optimistes pour le lendemain.

À tendre l’oreille, on entend : Western States, Hardrock, Leadville… À Snowbird, le temps d’un weekend, s’est rassemblée une microsociété composée d’ultra-bipèdes. Chaque membre a ses histoires, ses anecdotes. Chaque membre a connu l’adrénaline de la ligne de départ, les souffrances d’une montée qui n’en finit plus, les joies de terminer une course qui s’est amorcée quelques heures plus tôt… Chaque membre, malgré ses accomplissements passés, a un brin d’appréhension en sachant ce qui se pointe à l’horizon. Les Wasatch ont englouti bien des coureurs au fil des ans, les laissant à bout de souffle et brisés au sommet de Hidden Peak.

Samedi :

4 h : Le premier de trois réveils-matin fait entendre son cri. Un déjeuner froid et incongru, fait d’œufs, de betteraves et de saumon, soulève bien peu d’enthousiasme…

5 h 30 : Des rayons timides donnent aux sommets des Wasatch des teintes d’abord violettes, puis orangées. L’air est frais, semble rare. Les voix aussi se font rares. Les échanges sont brefs. Le soleil se lève sur Speedgoat.

6 h 15 : Des voitures s’agglutinent à quelques mètres du départ, et déversent des coureurs qui, lentement, s’entassent pour écouter la voix de Meltzer y aller de ses dernières recommandations. Tout le monde répond en chœur. Les dés sont jetés.

6 h 30 : Comme pour bien des ultras, le départ se veut plutôt discret, et sans trop d’éclat 400 et quelques paires de pieds prennent leur envol. À l’unisson. Paraît que c’est beau, vu de loin.

1er quart, Hidden Peak : Quatre montées se succèdent dans cette ascension vers Hidden Peak. Chacune plus difficile que celle qui précède. Par contre les descentes apportent un baume, redonnent aux poumons un peu d’expansion et aux jambes un brin de force. Sur papier, c’est la montée la plus progressive, donc la plus facile. Du « single track » fait place à des chemins plus découverts, puis aux pierres et à la neige. On entend au loin les clameurs du premier point de ravitaillement. Les clameurs se font de plus en plus près et, ma foi, les spectateurs sont en délire. Quel accueil! Oh, Anna Frost est juste derrière. Je vois…

2e quart : Pacific Mine : Une des lois de Murphy stipule que « tout ce qui monte doit redescendre ». Difficile à contredire. Speedgoat en est un bel exemple, alors que les 3 000 pieds qu’on vient de gravir se transforment en… 3 000 pieds à dévaler. Les spécialistes de la descente se frottent les mains, les grimpeurs se disent que ça ne durera pas éternellement et que leur tour viendra bien. Au point de ravitaillement, il est temps de faire demi-tour et de s’aventurer dans la 2e moitié de la course. L’endroit le plus sec du parcours, aussi le plus plat, fait presque oublier que derrière les nuages de poussière levés par les coureurs se cachent trois autres montées.

3e quart : Tunnel : Rapidement, les quelques centaines de mètres de répit conduisent au pied d’une montée d’environ 2 300 pieds, qui pour le commun des mortels se transformera en chemin de croix. Patience et constance sont deux outils à avoir dans son arsenal. Les kilomètres passent, lentement, puis au loin apparaît le point de ravitaillement. Tout le monde y est tellement attentionné, prévenant. Ça doit cacher quelque chose. Le mont Baldy. Il se dresse devant, imposant. Certainement qu’un sentier en fait le tour doucement. Et que la randonnée doit être splendide, à travers les fleurs sauvages. L’endroit rêvé pour un dimanche en montagne. Mais Meltzer a décidé que ça serait plus rapide de monter d’un coup, tout droit, sans même un chemin à suivre. Plutôt une série de rubans bleus, au milieu de la verdure. La montée atteindra 49,1 %, à un endroit.

Une fois la cime de Baldy chose du passé, les muscles arrière de la jambe prennent une pause bien méritée. C’est au quadriceps d’entreprendre leur quart de travail. Direction : le tunnel et sa fraîcheur, un autre point de ravitaillement, plus d’électrolytes, plus de melon d’eau, plus de sel. Et de moins en moins de sentier à parcourir.

4e quart : la ligne d’arrivée : Sortie du tunnel. Le soleil qui poursuit lentement sa route vers son zénith cogne plus dur. La descente mène au pied de la crête qui, lentement mais sûrement, ramènera tout ce beau monde au sommet de Hidden Peak. C’est la dernière montée majeure (Meltzer en a ajouté une plus loin pour l’édition 2014, histoire d’égayer la fête). L’atmosphère est joyeuse dans les hauteurs des Wasatch. C’est la dernière escale, dernière chance de faire le plein.

Cette ultime descente s’éternise. Certains peinent, ayant laissé trop d’énergie et de sueur dans les milles précédents. D’autres mettent à profit leurs aptitudes de chèvres des montagnes et engouffrent rapidement ce qui reste du parcours. La route en lacets qui mènent à l’arrivée n’en finit plus de tourner. On peut « entendre » que l’arrivée approche, mais on ne la voit pas. Fruit de l’esprit un peu tordu du directeur de la course? Puis c’est là, au détour d’une longue courbe. Accueilli comme il se doit, par l’architecte de la course, Karl Meltzer. Et par Ricky Gates, qui sonne la cloche. Et par les spectateurs. Anna Frost suivra bientôt, l’air de dire, avec son accent néozélandais : that’s it? Ellie qui finit fort, comme d’habitude. Puis les autres. Chacun avec son expérience, ses hauts, ses bas. Sa petite victoire personnelle. Ou sa défaite, qui sait? C’est le genre de course qui laisse des marques. Au corps, mais dans l’esprit aussi. Ça vaut mille fois le détour. Ça vaut tous les efforts. Ça vaut les levers à 5 h et les protéines pas toujours agréables après l’entraînement. Ça vaut les courbatures, la sueur, la fatigue. Assis non loin de la ligne d’arrivée, je me dis que c’est ça la course en sentier.

*À ma première présence dans une course de niveau international, j’ai terminé 19e en 6:41:21.