J’attends impatiemment Jean-François dans la zone de transition, au pied du Mont Grand-Fonds. Mon sac d’hydratation est rempli et je crois avoir assez de barres d’énergie pour bien gérer les prochains 18 km qui me ramèneront exactement où je suis, avec lui. Il arrive enfin, « mon coureur », l’air un peu fatigué mais bien déterminé à boucler son premier ultra de 80 km.
– Et puis, comment ça va après 62 km?
– Relativement bien. Mais c’est long!
Parti à 7h00 du matin, Jean-François court depuis maintenant 7 heures et demi. Il engouffre bananes, œufs, patates et bouillon de poulet avant d’entamer l’ascension du Grand-Fonds : 335 mètres de dénivelé positif sur 1,8 km de sentier. J’ai l’honneur d’être son accompagnateur, son « pacer », pour le reste de la course 80 km Harricana édition 2016. C’est la première fois que j’ai la tâche de maintenir la cadence pour quelqu’un, de m’assurer que son moral tient bon et de veiller à ce qu’il apprécie la fin de sa course.
On marche l’ascension en faisant quelques pauses car Jean-François sent le besoin de récupérer. J’en profite pour prendre des photos et lui poser des questions sur sa course, sur les coureurs qu’il a côtoyés. Je suis vraiment excité de participer à cet évènement. Tellement que j’encourage les autres participants, en particulier Marc-Olivier qui nous suit de près durant la montée. On discute tout en avançant, et le pas course reprend progressivement après avoir atteint le sommet.
Être à l’écoute
Je prends les devants afin de soutenir le rythme et d’analyser les sections de sentier les mieux praticables. Toutefois, Jean-François préfère être devant pour qu’on adopte sa cadence, probablement plus confortable et convenable que la mienne. Je ne suis jamais passé par là, 65 km dans les jambes doublés d’une fatigue extrême. Je réalise à ce moment que nos états physique et mental ne sont pas du tout les mêmes; je dois inévitablement m’adapter sinon le reste du parcours risque d’être bien pénible.
– Si je parle trop, Jean-François, tu n’as qu’à me le dire.
– Ouais… je préfère qu’on ne parle pas lorsque l’on court à une cadence constante, question de rester concentrés sur le sentier.
Maintenant, je sais à quoi m’en tenir. Et c’est bien correct, c’est une nouvelle expérience pour moi. Ce n’est pas comme lors de nos entraînements où l’on parle de tout et de rien, presque sans arrêt. J’ai soudainement le souvenir des accouchements de ma conjointe : tu ne sais plus trop quoi faire ni quoi dire, mais tu sais qu’il faut être présent, qu’il faut assurer. Je me contente donc de regarder au-devant du sentier afin d’anticiper le terrain, de donner quelques indications stratégiques et d’être à l’écoute.
Rester positif
Nous amorçons une longue descente dans de gros cailloux, débouchant sur une route en gravier, toujours descendante. C’est à ce moment que mon valeureux coureur ressent une douleur vive à la cheville qui le force à réduire considérablement la cadence et à alterner course et marche. Comment l’aider? Je ne peux rien faire d’autre que d’avancer avec lui, à son rythme, en étant simplement une présence positive. Jean-François est le gars le plus optimiste que je connaisse, pour m’avoir convaincu à plusieurs reprises de ne pas douter de mes capacités. Mais maintenant, des idées sombres lui font douter de ses propres capacités à atteindre son objectif.
– Reste positif, JF! C’est avec cette attitude qu’on pourra terminer la course!
– René, j’apprécie vraiment que tu sois avec moi, maintenant.
C’est à ces paroles que j’attache le but ultime de mon engagement : être là pour une personne que l’on apprécie, pour l’aider à atteindre son objectif. C’est au-delà de la course, c’est simplement humain.
Le dernier droit!
Jean-François n’a plus d’eau et nous sommes à environ 3 km du prochain ravito, le dernier de la course. Je lui en donne sans hésitation, il en a davantage besoin que moi. On court seul depuis un bon moment et Jean-François doute un instant de notre itinéraire. Je consulte la carte GPS et je crois que nous sommes dans la bonne direction. Jean-François me fait confiance. Disons qu’on ne veut pas manquer le ravito et ajouter des kilomètres à notre périple! On y arrive heureusement peu de temps après et je me jette sur les oranges et les bretzels (l’appel des électrolytes!). Jean-François remplit son sac d’eau. Pour ma part, je juge en avoir assez pour parcourir les 4 petits kilomètres nous séparant de l’arrivée.
Le ravito nous donne des ailes! Le sentier est roulant et on augmente la cadence. On se retrouve dans un sentier de ski de fond, large, vallonné et un peu marécageux par endroit. On entend maintenant l’annonceur et la foule. Ça y est, Jean-François, tu y es presque! Plusieurs personnes se trouvent sur le parcours, nous encourageant à maintenir le rythme pour le peu qu’il nous reste.
Le dernier droit, le dernier sprint. Ma sœur Joanie, qui est aussi la conjointe de Jean-François, l’attend fébrilement pour courir avec lui les derniers 25 mètres. Elle est fière de lui. Il l’est aussi, visiblement fier d’avoir traversé ces 80 km en tout juste 10h. Je partage la même fierté à son égard. Je peux aussi dire « mission accomplie ».
28 + 18 = ultra
Quelques mois avant la course, j’avais le désir de courir mon premier ultra-marathon cette année. Comme je doutais à ce moment que mes jambes puissent tenir le coup sur 65 km, le 28 km me semblait plus accessible. Mais ce n’était pas un ultra… sauf en y ajoutant les 18 km d’accompagnement lors du 80 km de Jean-François. Toutefois, il me faudra terminer ma course en moins de 3h afin d’arriver à temps pour repartir avec Jean-François. Le voilà mon « ultra défi », enchaîner les deux parcours. Je suis un « ultra-pacer »! Comment s’est passé mon 28 km? Ça, c’est une autre histoire…