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Le lit de l’hôtel est confortable. Je pense qu’il me reste environ 2 heures pour essayer de fermer l’œil et avoir une chance de dormir, mais je ne suis pas certain. Je pourrais ouvrir un œil et regarder le réveille-matin, mais je n’ose pas. Je préfère m’imaginer que je dors.

5, 4, 3, 2, 1… Go! C’est parti pour les 100 km du Vermont 100! J’essaie de me détendre et profiter du moment. Partout où je passe, les gens me saluent et me souhaitent une belle matinée. Ça me fait réaliser que je vais courir toute la journée, la soirée et une partie de la nuit. Je réalise d’un coup toute l’ampleur de ce que je vais tenter d’accomplir. Un pas à la fois.

Courir en groupe

Je fais toutes sortes de rencontres intéressantes durant les 10 ou 20 premiers kilomètres. Je suis fasciné par les coureurs d’expérience qui me racontent des histoires d’ultramarathon des années 70. Un d’eux est Kenny Roger, une légende locale avec qui j’ai le plaisir de partager la route. Courir à ses côtés est très instructif pour moi. J’apprends à tenir de meilleures postures en montée et mieux  protéger mes quadriceps en descente. Je développe un certain lien avec un coureur de la Floride qui semble veiller sur moi. Il me pousse à boire et à manger plus que j’en aurais le réflexe, mais cela semble une bonne chose.

Nous sommes 6 ou 7 dans le « groupe Kenny Roger » et un résident nous demande depuis quand nous courons. Quand nous lui apprenons que nous sommes partis à 9 h, il nous demande si on est loin du but. « 45 miles » lui lance le Floridien. Je n’oublierai jamais l’expression d’incrédulité sur son visage.

Déshydraté

Après 45 kilomètres, je suis trempé, affamé et surtout déshydraté. On m’oblige à boire au complet une bouteille d’eau sur-le-champ. Je passe un beau moment avec le groupe de coureurs, mais il est temps que je voie ma famille et que je puisse me ravitailler. Je serre les dents pour un dernier 6 km avant la prochaine station d’aide. Je sens la joie me traverser lorsque j’arrive enfin. Je regarde autour, mais je ne vois personne que je connais. Ils ne sont pas là…

Après avoir cherché plus loin, je les vois enfin! J’essaie de reprendre le temps perdu et je mange très peu avant de repartir. Il est trop tard… J’ai perdu le groupe avec qui je venais de tisser des liens pendant les 8 dernières heures! Je suis maintenant laissé à moi-même. Ça fait 8 heures que je cours et il est impossible d’envisager mon arrivée avant un autre 8 heures au minimum. Je suis dévasté.

Je sais que je ne dois jamais laisser la moindre idée négative faire son chemin dans mon esprit. Je travaille à faire virer la situation en positif, je me dis que je suis chanceux de pouvoir vivre aussi l’expérience en solitaire. Un pas à la fois, et j’y arriverai tôt ou tard. Je garde le sourire.

Hallucinations

Le VT100 étant aussi une course de chevaux, nous avons l’habitude d’avertir les coureurs à l’avant lorsqu’un cavalier nous dépasse. Tard dans la nuit, alors que mon cerveau commence à me jouer des tours, j’aperçois deux cavaliers filant à toute allure. Étrangement, ils portent de longues capes noires aux airs menaçants. Je crie « Horses! ». Le coureur à l’avant hausse les épaules. Je me retourne et je suis stupéfait. Il n’y a aucun cheval en vue.

Moins il reste de kilomètres à parcourir, plus c’est interminable. J’ai même l’impression que la ligne d’arrivée se sauve de moi! Pourtant ma famille et la directrice de course m’y attendent bel et bien. C’est sans tambour ni trompette que je fais mon arrivée sous un orage déchainé. Je sens au fond de moi que l’homme qui a pris le départ n’est plus tout à fait le même que celui qui a franchi la ligne! Je suis incapable de ne pas déjà penser aux 125 km de l’UTHC!